[Interview] Yoko Hanabusa, Harumo Sanazaki : de Gwendoline aux shojo d’aujourd’hui
Gwendoline a vu son troisième volume, réédité par Isan Manga, sortir cet été en France. Cela fait trente ans que la série existe et c’est en grand format qu’on la (re)découvre chez l’éditeur ! Son auteure, Yoko HANABUSA, était présente à Japan Expo avec sa collègue Harumo SANAZAKI. Retour sur un entretien aussi sympathique qu’enrichissant en présence de deux femmes aux idées bien tranchées.
Qui sont donc Yoko HANABUSA et Harumo SANAZAKI ?
Yoko HANABUSA dessine depuis plus de trente ans. Son œuvre phare, Gwendoline, est sortie il y a tout juste trente ans, sous le nom de Lady Gwendoline. La série sortait initialement en format poche, mais Isan Manga, son nouvel éditeur français (ndlr : deux tomes sont sortis en France dans les années 90 par Digiclub), ressort la série en grand format, à l’identique. L’auteure est déjà venue en France par le passé et ne cesse de voyager à travers le monde pour parler manga et animation.
Harumo SANAZAKI, quant à elle, dessine maintenant depuis 35 ans. Au Japon, ses œuvres comptent plus de 300 livres à elles seules. Actuellement, tout en continuant à dessiner, elle est aussi productrice de film d’animation et de CD-drama. Toutes les deux ont également été professeurs de mangas à l’université. Quant à leur rencontre, celle-ci remonte au premier concours auquel avait participé Yoko HANABUSA à l’époque de ses débuts : cette dernière remporta la première édition de ce concours d’auteurs amateurs, Harumo SANAZAKI le remporta deux ans plus tard. C’est ainsi qu’elles se rencontrèrent et restèrent en contact. Ces deux auteures phares des shôjos des années 1970 ne cessent d’en faire la promotion depuis et d’échanger avec un public toujours plus nombreux à chacune de leurs apparitions.
HANABUSA ET SANAZAKI : parcours, origines, débuts
Journal du Japon : Bonjour, et merci pour le temps que vous nous accordez toutes les deux. Pour commencer peut-être, est-ce que vous pouvez nous parler un peu de vous ? Comment avez-vous commencé à dessiner ?
Yoko HANABUSA : Eh bien, j’ai toujours dessiné. Si je réfléchis bien, je dirai que j’ai commencé vers 3-4 ans. Puis surtout à l’école primaire, c’est là que j’ai commencé à lire énormément de shôjo et que j’ai vraiment commencé à imiter le dessin des auteurs que je lisais. J’avais 7-8 ans.
Harumo SANAZAKI : Pour moi aussi ce fut depuis l’enfance. En fait j’adorais tout ce qui avait trait aux comédies musicales, aux films ou aux spectacles en tout genre. J’ai commencé à dessiner par rapport à tout ça, car j’aimais beaucoup ce que je voyais.
Comment avez-vous débuté en tant que mangaka ? Est-ce plus facile d’après vous aujourd’hui qu’auparavant ?
H.S. : J’étais assez faible, petite, plutôt malade et chétive même, du coup je sortais vraiment peu. J’ai attendu longtemps avant de pouvoir ressortir. Comme je ne pouvais pas le faire, j’ai commencé à imaginer le monde extérieur. C’est de là que tout est venu pour moi car j’ai continué à le faire par la suite même si j’allais mieux. Et c’est peut-être pour ça que j’ai eu une aussi longue carrière, qui sait ?
Y.H. : Pour moi c’est au lycée que l’idée et l’envie de devenir mangaka est née, je pense. C’est simple, j’ai réalisé mon premier manga entre ma sortie du lycée et mon entrée à l’université. Je l’ai envoyé à une maison d’édition, et c’est à partir de cette période que je me suis lancée. J’ai persévéré et c’est comme ça que tout a débuté. En fait, il y a vingt-trente ans, il n’y avait que trois choix possibles pour être mangaka : le premier choix était d’amener son manga chez un éditeur, le second d’envoyer son manga au journal local et le troisième de participer à des concours.
Moi j’ai donc été voir plusieurs éditeurs et c’est de cette manière que tout a commencé. Mais depuis 10 ans maintenant, on peut dire qu’il y a un quatrième choix possible pour être mangaka : dessiner et s’éditer soi-même, puis aller ensuite au Comiket avec. Afin de s’exposer, les éditeurs vont beaucoup sur place aujourd’hui et repèrent ainsi les futurs mangakas directement.
H.S. : En 35 ans de carrière, j’ai vraiment vu plusieurs époques différentes se succéder et je trouve que les mangas qui sortent aujourd’hui sont bons techniquement, mais que pour autant les éditeurs d’aujourd’hui sont très jeunes et moins expérimentés. Résultat : les mangas actuels n’ont peut-être pas assez de contenu ou de profondeur.
Y.H. : Je rajouterai même que la manière de travailler est différente aujourd’hui. Beaucoup de mangakas sont passés au numérique et travaillent donc sur tablette graphique. Il est donc beaucoup plus facile d’effacer quelque chose et de retravailler sans cesse la même planche. C’est devenu un peu plus éphémère, on a perdu quelque chose peut-être. Attention, je ne dis surtout pas du mal de ce qu’il y a aujourd’hui par rapport à ce qu’il y avait dans le passé, mais j’aime bien l’idée d’achever une œuvre ou quelque chose sans avoir à l’effacer. On a perdu un peu du côté « achèvement d’une planche ou d’une image. » Et je trouve en effet qu’il y a peut-être un peu moins de profondeur dans les mangas d’aujourd’hui.
H.S. : Il ne faut pas oublier non plus qu’au Japon, l’étude du manga est présente aux écoles des Beaux-arts. La spécialité manga existe donc bel et bien. Et en tant que professeur je dois avouer que j’ai mis en garde mes élèves « de ne jamais dessiner les mangas en ne lisant que des mangas mais de regarder autre chose avec, et faire pareil avec l’animation. » En somme, ne pas rester parqué soit dans le numérique, soit dans nos idées. C’est dans cette direction qu’a évolué le manga.
Si on va un peu plus loin dans votre réflexion, que pensez-vous du coup du regain de curiosité autour des shôjos des années 60 à 80 présent en France ? Je pense notamment à d’anciens titres réédités chez nous depuis deux ans maintenant, à commencer par les vôtres ou certains de Moto Hagio.
H.S. : Je pense que les mangas des années 60-80 se différencient de ceux d’aujourd’hui car justement ils avaient des histoires très approfondies. Attention, je ne dis pas que ce n’est pas le cas actuellement, mais la psychologie des personnages était plus soignée à l’époque, ce qui explique pour moi le renouveau de cet intérêt pour les mangas datant de cette période. Les personnages d’aujourd’hui sont souvent plutôt très stéréotypés voire même basiques, ce qui enlève une certaine profondeur à l’histoire. C’est peut-être pour cela que les gens s’y intéressent à nouveau.
Y.H. : À l’époque, dans les année 60-80, quand on a commencé à publier, le but du manga était juste d’être compréhensible par les lecteurs, de faire passer un message précis. Aujourd’hui la tendance est de dessiner ce que l’on a envie. Même si le message ne passe pas derrière. L’auteur fait vraiment comme il le ressent lui et pense moins à la réception derrière. Ce n’est pas une généralité, mais cela arrive vraiment plus souvent.
Comment percevez-vous dans ce cas les shôjos qui sortent aujourd’hui ? En lisez-vous ?
H.S. : J’en lis de temps en temps. Mais le problème c’est que lorsqu’ils sont publiés en prépublication, les histoires deviennent vraiment longues. Le rythme de publication, parfois deux fois par mois, est dur à suivre car cela coupe l’histoire. Les gens ont donc tendance à attendre la sortie d’un volume relié, afin d’avoir l’histoire en une seule fois. Je rentre dans cette catégorie : j’aime bien tout avoir en main, même si la prépublication peut avoir son intérêt.
Y.H. : Récemment je n’ai pas lu de shôjo personnellement, mais j’en lis beaucoup pour mon travail. Je remarque d’ailleurs qu’il y a une certaine différence entre les anciens mangas et ceux d’aujourd’hui. Au fond, je peux dire quand même que l’ambiance et ce que les lecteurs attendent à la lecture sont toujours présents : pas de la même façon mais bien là. Donc je suis plutôt satisfaite de ce que je vois.
Ayant fait cette interview pour Journal du Japon, je vous invite à lire la suite sur l’article original : en cliquant ici > Interview de Yoko Hanabusa et Harumo Sanazaki.
Et retrouvez plus d’information sur la sortie de Gwendoline sur le site de l’éditeur français Isan-Manga, sur les réseaux sociaux pour Harumo Sanazaki et sur son site officiel pour Yoko Hanabusa.