[Interview] Thomas Romain : un gaijin à la conquête de l’animation japonaise !
Et si on pouvait très bien réussir au Japon dans le secteur de l’animation sans être Japonais ? Ce n’est pas Thomas Romain, un français expatrié au Japon qui vous dira le contraire ! Avec Journal du Japon j’ai ai eu l’occasion de le rencontrer en juillet dernier lors de son passage à Japan Expo, pour un échange aussi passionné que percutant. Sa passion, son parcours, son point de vue sur le sujet, ses projets et sa réussite : tout est tiré au clair pour le plus grand plaisir de ses fans comme de tous les passionnés par le milieu ou qui souhaite travailler dans le secteur de l’animation japonaise ! Découvrez cette interview vraiment riche qui devrait répondre à plusieurs de vos interrogations.
Thomas Romain, son parcours, sa motivation, sa passion
Journal du Japon : Bonjour et merci de nous accorder de votre temps. En parcourant le salon durant ces quelques jours, on a vu que vous étiez un très grand passionné du Japon, prêt à échanger avec un maximum de personnes. La première question sera de savoir comment vous-mêmes êtes tombé dans ce milieu du manga et de l’animation ?
Thomas Romain : Ça s’est fait en plusieurs étapes je dirais. On parle souvent de la génération Goldorak, celle d’Albator, la génération Dorothée… À notre époque lors des années 1980, on voyait pas mal d’anime japonais à la télévision : ça nous a tous pas mal marqué, mais ça a surement joué un rôle d’influence aussi dans notre passion et motivation future. Quand on est gamin nous sommes comme des éponges, on absorbe tout : cette culture, cette pop-culture même, ces visuels, cet esprit familier.
Au Japon, quand on parle d’anime avec des collègues de bureau, on a tous les mêmes références. Ils sont même surpris parfois. Mais à l’époque on avait tellement de dessin-animés qui passaient à la télé. Donc il y a un peu de ça déjà. Ensuite, côté adolescence, ce fut le repos de l’animation japonaise, mais aussi le début de vrais passionnés du milieu qui font revenir l’animation japonaise en France.
Au départ c’était plutôt les chaines qui cherchaient à remplir leurs programmes et qui achetaient au Japon car c’était pas cher. Il n’y avait aucune volonté de diffuser et distribuer la culture japonaise, mais ils ont ouvert une boite de pandore. Cela a crée des générations de créateurs influencés par le Japon. Dans les années 1990, ce sont ces fans qui la font revenir, dont les distributeurs vidéo… Et là ce fut une deuxième claque : diffusion de Akira au cinéma, de Ghost in the Shell aussi, début des premiers mangas à acheter chez Glénat, notamment avec Dragon Ball, Gunnm… Première série éditée en VHS, j’ai acheté comme ça Cowboy Bebop ou encore Evangelion.
Et tout ça c’est arrivé au moment où je voulais faire du dessin mon métier, car j’adorais ça. Au début j’étais parti dans une formation scientifique : j’étais bon élève donc j’ai suivi ce que mes parents voulaient, puis j’ai eu mon bac S, j’ai été dans une fac de mathématiques. Et en fait dans ma classe il y avait un mec qui avait comme passion tous les weekends de créer des circuits imprimés et électroniques.
Je me suis juste dit : « ce gars-là il est passionné, il passe son weekend à faire des recherches scientifiques, moi je passe mon temps à regarder des anime et jouer à des jeux vidéo, je pourrais jamais réussir dans la vie face à lui, surtout avec les mêmes études. » Donc je me suis rendu compte que ce n’était pas mon truc. Au départ je pensais même que tous le monde était comme moi, mais non. Si dans la vie pour réussir, il faut choisir sa passion, c’est là que j’ai réalisé qu’il fallait que j’utilise ma passion pour le dessin et cette culture populaire dans laquelle je baignais, et y mettre mon énergie pour en faire quelque chose. J’avais 17 ans.
À ce moment-là je découvrais toutes les œuvres des années 1990, donc je me suis redirigé vers des études d’animation : j’ai été pris à l’école des Gobelins. J’y ai rencontré d’autres passionnés, et j’ai pu aller dans les premiers salons qui faisaient venir des Japonais : j’ai fait quelques rencontres lors de ces derniers. On découvrait qu’il s’agissait de véritables personnes derrière, que l’on pouvait parler avec eux, donc c’était vraiment chouette. J’ai même eu de la chance en 2001 car il y avait la masterclass avec Yatsuo OTSUKA, le mentor de Hayao MIYASAKI, venu une semaine pour faire étudier l’animation japonaise. On était une dizaine, et j’en faisais parti.
On lui montrait nos dessins vu qu’on faisait des études d’animation, et il était vraiment intéressé, « c’est super ce que vous faites. »
On pensait que c’était pour nous faire plaisir qu’il disait ça mais en fait c’était sincère : en France on est vraiment bien formé à l’animation, beaucoup de jeunes ont du talent. Il énonçait simplement « vous devriez venir au Japon, si vous cherchez du travail, vous pourrez sans problème. » Là on était vraiment tous surpris. Quasiment le jour-même je me suis inscrit à un cours de japonais, car si je devais aller là-bas, il fallait savoir parler japonais.
J’avais 25 ans à ce moment-là. En même temps avec des amis on développait un projet, Oban Star Racers, qu’on pensait mettre en place en France au départ, et au final on s’est dit qu’il y avait possibilité de le faire au Japon, comme on avait des contacts, tout ça. Bon ça a mis du temps, quelques années, mais on a creusé là-dessus, et on a réussi à convaincre des personnes. On a fini par réussir, et on est parti au Japon en 2006 pour faire cette série. C’était parti, on était au Japon pour créer une série d’animation. Tout s’est super bien passé, et j’ai souhaité rester sur place. Suite à quoi j’ai été embauché par le studio Satelight où je suis encore, treize ans après.
C’est un peu long désolé. (Rires)
Animation française, animation japonaise : état des arts
Il parait donc qu’on est bien formé en France niveau animation. Est-ce que d’après vous c’est toujours le cas aujourd’hui ?
Ah oui, plus que jamais.
Donc il pourrait encore y avoir des artistes japonais qui pourraient revenir par exemple dire « vous, vous pourriez venir travailler au Japon… » ?
Oui sans hésitation. Le talent des étudiants en France est incroyable, je dirais même que c’est trop (Rires). Je dirais que certains sont trop bien formés et qu’ils pourraient être déçus en arrivant dans le milieu professionnel. C’est souvent le cas d’ailleurs. En école, ils créent et font de super court-métrages, ils sont libres de faire ce qu’ils veulent. Une fois qu’ils sortent de l’école, ils ne trouvent donc pas de travail à la hauteur de ce qu’ils recherchent ou du potentiel qu’ils ont. En France en tout cas. Le milieu de l’animation y est un peu morose. Beaucoup sont frustrés ou déçus. Je l’avais déjà ressenti à l’époque. Je ne voulais pas travailler en France.
On a quand même fait Code Lyoko, mais je suis parti au moment où ça décollait, donc je n’ai pas travaillé sur la série car je ne voulais pas d’une série à épisodes séparés, je voyais plus grand. Je voulais quelque chose style grande saga, on a donc fait Oban Star Racers. Je voulais travailler également avec des animateurs japonais, je souhaitais un bon niveau, une belle qualité d’animation, et c’est ça qu’on n’aurait pas pu avoir en France. Donc oui les étudiants français sont très bien formés et peuvent tout à fait travailler partout.
D’ailleurs il y en a qui le font, on est maintenant une vingtaine au Japon, aux États-Unis encore plus. On parle souvent de ceux qui sont partis chez Disney, et on parle moins de ceux partis au Japon. C’est aussi pourquoi on est là, à Japan Expo, car il faut aussi se tourner du côté japonais car c’est tout aussi intéressant voir plus.
C’est peut-être à cause d’un problème de langue ? On est baigné dans l’anglais dès le collège, c’est plus facile de se tourner vers les États-Unis ?
Non, c’est aussi l’énorme bulldozer qu’est l’animation américaine. Elle laisse peu de place au reste. Le fait d’aller au Japon, c’est aussi le fait pour moi de contrer ça, aller à l’Est c’est aussi décider de ne pas aller à l’Ouest forcément. Je me suis un peu construit en opposition à ces réactions à ces boites qui se sont construites comme Disney.
Justement, ça ne pose pas de problème aux bons animateurs de voir qu’il y a maintenant de plus en plus de sous-traitance en Chine ou en Corée du Sud notamment ?
Tu parles du Japon ?
En gros tous les animateurs français ou d’ailleurs qui viennent au Japon, du fait de leur haut niveau, est-ce que finalement cela ne les gêne pas de constater quand ils arrivent que ça se passe ailleurs et que ça peut être mal fait ?
Déjà ce qu’il faut savoir c’est que le Japon est encore le pays qui a réussi à conserver le plus sa production sur place. Sans hésitation. En France, on n’a jamais fait la production sur place, depuis le départ, même dans les années 1990, car ça coûtait trop cher. Aux États-Unis c’est pareil, ils ont tout délocalisé très vite, donc il y a peu de débouchés pour les animateurs. Au Japon c’est plus flou. Il y a des avantages et des inconvénients en fait : plus dur, moins bien payé, mais ils ont réussi à garder les choses sur place. Et même s’il y a un peu de sous-traitance, ce n’est pas l’essentiel. Si on veut faire de l’animation, ça reste le Japon le pays pour ça.
C’est quand même dommage qu’il y en ait, notamment sur de grosses séries comme Naruto ou One Piece. Elles sont quand même populaires, mais au final du fait de la demande, il faut que ça soit fait rapidement et donc la qualité passe à la trappe…
Ça, ça dépend des politiques du studio concerné. Chaque studio a sa politique. Ensuite le fait que ce soit populaire, des sociétés comme TOEI par exemple, qui ont des studios en Malaisie et vont produire en qualité inférieure des titres majeurs car ils savent que derrière, ça marchera dans tous les cas. Les plus petites séries ont besoin d’une animation plus flamboyante à l’inverse. Donc ça dépend vraiment du studio et de sa politique. Tous les studios ne pensent pas de cette manière.
Mais nous ce qui nous dérange, c’est qu’on est parti de quelque chose comme Ghost in the Shell par exemple, pour arriver à ce qu’on a aujourd’hui : une baisse de qualité dans les anime où la malfaçon est visible, alors que la norme auparavant, c’était d’atteindre le haut niveau. C’est un constat un peu triste…
Je suis d’accord. Ça devient même inquiétant. Mais c’est parce qu’on est en totale surproduction, on est à quatre fois plus de séries qu’auparavant. Et la courbe ne cesse d’augmenter. Il y a eu une petite baisse autour de 2010 mais c’est remonté depuis. Et tout le monde le sait. On en discutait encore pas plus tard qu’hier avec un animateur de Satelight qui m’a accompagné. Il dit qu’il « faudrait diminuer la production, réduire drastiquement le nombre de séries, au moins de moitié, et ça changerait tout » mais ce ne sont pas les studios qui décident.
On est impuissant par rapport à ça. Ce sont d’autres sociétés qui sont tentaculaires qui veulent juste faire du profit, et les studios souffrent de ça. Les studios japonais sont des petits studios, des PME, avec peu d’argent et peu de pouvoir. Si tout le monde s’unissait, peut-être, mais si on faisait une grève on détruirait l’industrie et on devrait repartir à zéro. C’est impossible de syndiquer les japonais et de faire des mouvements comme ça.
C’est un sport français ça ! (Rires)
Tout à fait (Rires). Mais c’est super intéressant. Quand on voit la différence entre ici en France et là-bas… Quand on voit les grèves, que dès qu’un truc ne va pas les gens stoppent tout, ça fait une différence tellement folle. C’est impressionnant. Mais je suis d’accord avec vous. Et les Japonais en ont conscience. Il faut que les choses changent, et ça va changer, mais cela va prendre du temps.
Déjà le fait que le studio Ghibli tombe un peu, enfin, tire un peu sa révérence…
Déjà le studio Ghibli, c’était le seul studio qui avait un modèle différent, car il embauchait tout le monde en CDI. Ce qui n’est pas tenable dans cette industrie. Personne ne fait ça. En France, il n’y a qu’Ankama qui le fait. Et pourquoi ils y arrivent ? Parce qu’ils ont un jeu en ligne qui marche et leur rapporte beaucoup d’argent chaque mois. Et c’est pour ça que le régime des intermittents du spectacle existe en France, et concerne aussi l’animation, car on ne peut pas embaucher à plein temps des personnes dans ce secteur.
Ce n’est pas possible, ce n’est pas adapté. Et donc quand Ghibli fait ça, ça marche tant qu’il continue à produire des films qui ont du succès. Mais les coûts de production des films Ghibli, à niveau équivalent, sont de l’ordre de cinq à dix fois plus que tous les autres films japonais. Au Japon ce n’est pas un système vraiment tenable. Donc dès l’instant où ils décident de ralentir la production, ils sont obligés d’arrêter. Là il reste encore quelques animateurs mais certains ont ouvert d’autres studios ou sont partis ailleurs… ils ont changé de statut. Tout se ré-uniformise, Ghibli était vraiment une exception.
Est-ce que cela peut avoir des conséquences ? De savoir que ce système-là a pu marcher un temps ?
Non car dès qu’on réfléchit de manière économique, on voit bien que ça ne peut pas être prometteur ou efficace. Et que ce n’est donc pas possible. Ce n’est pas adapté à la production. On produit une série, on a besoin de gens à tels moments pour tel poste… Au début il faut un scénariste, puis un storyboarder, après il faut un animateur, puis une fois que c’est fini, et bien c’est terminé si tu n’as pas un autre projet derrière. Il faut que tous les projets s’enchaînent. Donc il peut y avoir des risques. S’il y a un problème dans la production, on doit s’arrêter.
Ce n’est pas comme si on faisait un travail à la chaîne, et qu’on faisait des pièces de voiture… En fait, c’est comme si chaque dessin animé était un prototype unique. Ça ne peut pas être industrialisé. On parle d’industrie mais ce n’est pas vraiment industrialisé, c’est de l’artisanat en fait. Chaque plan est différent, chaque dessin est différent. Il n’y a rien de reproduit à l’identique. Une fois que le dessin est fait, on presse des dvds, ça c’est industriel. Mais chaque plan, chaque dessin, chaque décor est unique.
Ayant fait cette interview pour Journal du Japon, je vous invite à lire la suite sur l’article original : en cliquant ici > Interview Thomas Romain sur Journal du Japon
Merci beaucoup !